Le phénomène des influenceurs sur Instagram : comment révolutionnent-ils la mode et les standards de beauté ?
Confrontés depuis toujours aux silhouettes longilignes des mannequins tels que Cindy Crawford, Kate Moss, dans les années 1990 puis aux formes voluptueuses des sœurs Kardashian, en 2021, nous considérons ces canons de beauté présentés dans la mode, au cinéma ou bien dans les magazines féminins comme une norme. En effet, cette image de la femme parfaite se transforme en diktats imposés par notre société patriarcale et que nous devons adopter. Leur devise : toujours paraître plus mince, plus jeune, plus élégante.
Ainsi le capitalisme prône des standards de beauté corporelle inatteignables et le “body shaming”, en imposant une apparence sans « imperfection », exposant des corps de plus en plus « parfaits » et en promouvant le business de la chirurgie esthétique, de la retouche photo. On nous conseille des crèmes contre les rides, la cellulite, les boutons, qui étaient, jusqu’ici, normaux et naturels. « On essaie d’être la copie d’une copie sans original», d’après la dirigeante du département d’études de genre du Middlebury College, dans le Vermont. L’industrie de la mode suit et base ses vêtements sur ces idéaux de beauté, oubliant ainsi une réelle partie des consommateurs qui ne se sentent plus concernés par les produits proposés.
Même si certains grands couturiers, comme Jean-Paul Gaultier n’ont pas hésité à bouleverser les codes de la mode en mettant en avant la diversité lors de ses défilés (femmes âgées, homosexuels, tatoués), ces silhouettes restent toujours omniprésentes dans le paysage médiatique et cinématographique et ancrées dans les codes de l’esthétisme de notre société. D’ailleurs, en septembre 2013, les mannequins Bethann Hardison ou encore Naomi Campbell ont réagi face à la sous-représentation des modèles noirs dans la mode.
Avec le développement et le grand bond en avant des blogs et des réseaux sociaux, dans les années 2000, le phénomène des « influenceurs », « instagrameurs », « youtubeurs » ou « blogueurs » apparaît. En effet, de nombreux jeunes ont réussi à se faire connaître, à gagner des millions d’abonnés et à créer une communauté d’internautes avec cette envie de partager du contenu créatif sur diverses plateformes. Ainsi l’influenceur, par définition, a une influence sur une certaine communauté d’utilisateurs du web, grâce à son exposition et à son succès sur Internet. Il communique grâce à diverses plateformes telles que YouTube ou Instagram, l’une des plateformes de partage de photos et de vidéos qui connaît un véritable succès à partir de 2014, avec plus de 200 millions d’utilisateurs actifs, faisant de lui le deuxième réseau social dans le monde après Facebook.
Aujourd’hui, le métier de ces personnalités redéfinit les contours de la communication et des collaborations avec des marques, grâce au marketing d’influence (promotion, placement de produits, partenariats) et deviennent de véritables intermédiaires entre un produit, une marque et leurs « followers ». Ils ont le pouvoir d’influencer le comportement du consommateur, de pousser à l’achat, et développent une e-réputation afin de susciter l’envie des internautes. Leur but : créer une relation de confiance entre eux et leur communauté, afin qu’elle se reconnaisse en eux et s’en sentent proches.
Cependant, au-delà de l’aspect marketing, les influenceurs représentent de véritables leaders d’opinion des temps modernes. En effet, ceux-ci peuvent également utiliser leur notoriété dans le but de transmettre des idées, des messages à leur communauté. Le réseau social Instagram est bien connu pour véhiculer des images qui attirent l’œil. La qualité des posts et la dimension esthétique sont essentielles. Néanmoins, la retouche photo fait également partie du jeu pour avoir une bonne visibilité. Entre tailles de guêpe, fesses rebondies ou peaux hâlées, il est difficile d’échapper à cette société du spectacle et aux diktats de la beauté et du corps. Pourtant, de plus en plus de femmes tentent d’abolir ces injonctions et prônent le « vrai » sur Instagram. Aujourd’hui, le mouvement feministe du “body positive” bouleverse la toile en montrant que les poils, l’acné, les rondeurs, les cicatrices ou bien les rides ne sont pas “hors norme”. Certaines postent alors des images de leurs corps, de leur quotidien suivies de messages bienveillants d’espoir et d’acceptation.
L’instagrameuse Laura Calu lance le Hashtag #Bikinibodyfermetagueule et dénonce avec fureur la banalisation de cette norme de beauté véhiculée par l’industrie de la mode et son irréalisme, pour laisser place à la réalité, la diversité. En effet, la prépondérance de cette idée du corps parfait, présente sur les réseaux sociaux, peut avoir une influence négative sur les jeunes internautes et sur la perception de leur corps. Elle engendre la création de complexes ou de problèmes liés à l’image corporelle au point de s’en rendre malade. Sur 996 adolescents actifs sur Instagram, 51,7% sont des filles souffrant de troubles alimentaires, d’après une étude parue dans l’International Journal of Eating Disorders. De plus, en 2016, une étude publiée dans le Journal of the Academy of Nutrition and Dietetics annonce que l’addiction aux réseaux sociaux serait liée aux troubles du comportement alimentaire tels que l’anorexie, la boulimie. Certains individus sont convaincus d’avoir besoin de consommer différents produits, parfois nocifs, pour perdre du poids, avoir de beaux cheveux ou une belle peau, mais cela peut être très dangereux pour la santé. Dans la revue JAMA Facial Plastic Surgery, des chirurgiens ont également tiré la sonnette d’alarme pour alerter contre la « Snapchat dysmorphia » qui consiste à transformer son visage en filtre Snapchat grâce à la chirurgie esthétique.
Plusieurs influenceuses telles que Julie Bourges, au corps brûlé à 40%, Amina Mucciolo, ancienne boulimique ou encore Mybetterself s’allient sur Instagram pour encourager les femmes à s’accepter telles qu’elles sont en publiant des photos au naturel, sans retouches. Elles lancent à leur tour des hashtags concernant le mouvement du “Body Positive” tels que #Acneisnormal, #Freethepimple, #FineWomenThatAreFat ou encore #CelluliteSaturday, afin de montrer que ces « défauts » représentent en réalité la normalité et que pour atteindre la véritable beauté, il faut apprendre à aimer et à accepter son corps. Certaines mannequins comme Gabrielle Caunesil ou encore Sara Sampaio surfent également sur la vague du body positivisme en suivant la tendance « same body, different pose » qui dénonce la perception que nous avons du corps de certaines femmes sur Instagram. Ainsi, en 2016, la mention « image retouchée » est imposée sur les publicités. La parole se libère grâce à leur assurance et leurs discours. Ces femmes incarnent un véritable mouvement de liberté de la femme, bien trop oppressée par les standard de beauté.
Un changement dans la mode
Le mouvement du “body positive” devient un outil fort pour la politique communicationnelle des marques et un argument marketing lucratif. En effet, des marques comme Asos, Fenty ou encore Victoria’s Secret adoptent cette démarche dans leur campagne publicitaire.
De plus en plus de marques ont été critiquées pour leur manque de diversité. Victoria’s Secret, une des marques prônant le culte de la maigreur du fait de son ancien directeur marketing Ed Razek, tente d’évoluer et souhaite un “renouveau”, après une chute des ventes et la fermeture de plusieurs boutiques. La marque lance une campagne inclusive, en collaboration avec la marque Bluebella, dans une collection Love Yourself qui inclut des mannequins grande taille, dont Ali Tate. Cette dernière ajoute la taille 42 à la marque de lingerie, connue pour s’arrêter majoritairement au 38. Leur compte Instagram se développe davantage sous l’initiative du mouvement du “body positive” avec des publications présentant des mannequins naturelles, aux profils divers afin de montrer qu’ils s’adressent à tous les types de corps.
Zalando lance également une belle campagne automne/hiver 2019 basée sur le Free To be qui transmet le message de la liberté intérieure. Par le biais de leur publicité vidéo, ils souhaitent montrer que la mode peut mettre en avant les particularités physiques de chacun afin d’exprimer son unicité et son identité. Les égéries de cette campagne telles que Felicity Hayward, Alice Hurel ou encore Leroy Mokgatle montrent leur émancipation, faisant de leur particularité, une force. « Une fois que vous êtes libres de porter ce que vous voulez et d’être qui vous voulez, rien ne peut vous arrêter. » a déclaré Jonny Ng, le directeur du marketing et des campagnes de l’enseigne Zalando.
La Silver mania
Bien trop souvent oubliées par les magazines féminins et les standards de beauté, les femmes plus âgées reconquièrent désormais la toile. En effet, le phénomène des Silver Influenceuses fait bouger la mode. À plus de cinquante ans, ces wonder women du style représentent une forme de résistance dans le monde de la mode. Même si ce n’est pas encore la fin du règne de la « baby it-girl », les jeunes femmes érigées prêtresses de la mode par notre société, toujours codifiées, finissent peut-être par ennuyer.
Parce qu’elles n’ont rien à envier à la jeune génération, ces femmes plus âgées assumant pleinement leur âge, leurs rides et leur chevelure grise prennent de plus en plus de place dans l’univers de la mode. D’abord dans les publicités, puis, dans les agences de mannequins qui ont pris goût à la Silver mania. Très présentes sur les réseaux sociaux et notamment sur Instagram où elles peuvent s’exprimer, échanger et faire parler d’elles, leur notoriété n’a cessé d’augmenter depuis quelques années, faisant d’elles de véritables célébrités, bousculant les codes des générations 2.0. Ainsi, les marques ont multiplié les campagnes “Influence Marketing” à leurs côtés. Et pour cause, passées au rang de technophiles, ces influenceuses sont devenues une cible commerciale dont la voix est réellement entendue. Du côté des créateurs, on célèbre la tendance baptisée « Bedford Avenue Granny » par les Américains, autrement dit, « grand-mère des quartiers branchés ». Un mélange hétéroclite et décomplexé d’imprimés, de matières, de luxe et de vintage. Vu chez Miu Miu et Gucci, ce style très « tea time Rock’n’Roll » s’affiche maintenant sur toutes les modeuses averties. « La clé du style est d’apprendre à se connaître soi-même, ce qui prend des années » déclare l’icône de la mode, Iris Apfel.
Baddie Winkle, au look déjanté avec son cycliste vert fluo et sa maxi-doudoune arc-en-ciel est certainement la « mamie » la plus branchée d’Instagram. Du haut de ses 95 ans, cette femme ne manque pas d’énergie pour offrir à ses 3,8 millions d’abonnés des looks toujours plus flashy et à la pointe des dernières tendances. Linda Rodin, sous le nom de Linda and Winks sur Instagram, révolutionne également le monde de la mode et de la beauté. Accompagnée de son chien, cette dernière fait partie des Silver Influenceuses les plus influentes du monde de la beauté newyorkaise. « La beauté réside dans la simplicité » a-t-elle déclaré. Du haut de ses 67 ans, elle attire les marques telles que J.Crew, Coach ou encore Karen Walker, qui n’hésitent pas à faire appel à elle pour leurs campagnes publicitaires.
Ainsi, au travers de leurs publications, ces esprits libres montrent bien que la mode n’a pas réellement de standards, de codes et de diktats qu’il faut respecter à 100%. Malgré leur âge, ces femmes donnent alors un nouveau souffle et un coup de frais à l’industrie de la mode. La rédactrice en chef du magazine Vogue, Anna Wintour souligne que les derniers défilés Printemps de 2018 ont présenté de la diversité avec des femmes d’âges, de genres, de tailles et de couleurs différentes.
Cependant, nous pouvons nous poser la question suivante : Les marques sont-elles réellement sincères et engagées dans cette démarche ou bien s’agit-il uniquement d’un bon coup marketing ?